
Mathieu Lehanneur, quand l’émotion devient objet
Figure de la création contemporaine française, Mathieu Lehanneur imagine des objets ainsi que des lieux remarquables qui invitent à ressentir. Rencontre avec le magicien qui matérialise l’émotion.

©Felipe Ribon
Mathieu Lehanneur, votre approche du design, que l’on nomme aujourd’hui « design émotionnel » est fascinante. Qu’est-ce qui vous a fait cheminer vers cette démarche ?
À mon entrée en école de design, j’étais totalement vierge de connaissances et de références quant à la création ou à la conception. Je crois que cela a orienté mon approche singulière du design, car je n’étais pas soumis ou conditionné par une vision académique des choses. J’ai fait le constat qu’il existait tous les objets nécessaires à nos besoins. L’enjeu n’est donc pas là. À mon sens, il réside dans la capacité de ces objets à activer l’émotion, ciment des interactions.
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Dernièrement, la torche et la vasque que vous avez revisitées pour les Jeux olympiques de Paris ont suscité admiration et adhésion populaire. Le design se doit-il d’émerveiller ?
Je crois que le design construit notre relation avec l’autre par la voie de l’émotion. Quand je dessine un objet ou une pièce, je me pose la question de ce que les gens en garderont et de ce qu’ils pourront transmettre à partir de cette création. Qu’allez-vous raconter de cette torche ou de cette vasque olympique ? Comment allez-vous parler de cette sculpture vue dans tel ou tel musée ? Souvent, les mots utilisés pour retranscrire ne sont pas descriptifs, mais évocateurs. Ce qu’il reste, ce n’est pas vraiment la couleur, la matière ou la forme, mais ce qui a touché dans cette rencontre avec l’objet ou l’œuvre. Ce qui m’intéresse véritablement dans le design, c’est l’écho qu’il va faire résonner, dans le cœur, dans la mémoire, dans l’esprit.
Cela donne à réfléchir quant à la notion d’accessibilité de l’art…
Si l’on veut être pragmatique, la question d’une production accessible à tous n’a de sens que si on la contextualise historiquement. Aujourd’hui, l’accessibilité des objets qui remplissent une fonction (s’asseoir, s’éclairer, se restaurer) peut être considérée comme un contrat rempli avec le développement de la production en série. En parallèle, la création artistique d’une œuvre induit qu’elle ne peut pas être chez tout le monde. Pour autant, qu’une pièce n’ait pas vocation à être dupliquée ou possédée par tous ne signifie pas qu’elle est incapable de toucher tout un chacun
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Les designers ne sont pas si souvent sous les projecteurs, or vous l’avez été grâce aux Jeux olympiques. Qu’est-ce que ça a changé ?
Je crois que cela a permis une meilleure compréhension de l’utilité et des vocations que peut revêtir le design. Certains designers m’ont dit : « Enfin ! Mes parents comprennent ce que je fais ! » Ce n’est pas une mince affaire d’ailleurs, car notre métier est protéiforme et mute au gré des projets. |
Les matériaux, les couleurs interviennent donc après l’imagination du concept. Pour autant, avez-vous des matériaux favoris ?
J’ai tendance à appréhender les matériaux comme des réponses à un problème, mais je crois les avoir quasiment tous utilisés, et avec plaisir : cuir, aluminium, bronze, verre, lumière. Celui que j’utilise le moins, d’une certaine manière, c’est le plastique. Pour deux raisons principales : on n’en connaît que trop peu les effets indésirables et c’est une matière qui ne raconte pas grand-chose. Si je vous mets entre les mains un petit cube de marbre, un petit cube de bronze et un petit cube de plastique, deux vont intrinsèquement vous toucher, ne serait-ce que par leur température, leur poids et leur histoire. |
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![]() © Jeanne Perrotte |
Avez-vous une expression ou un mantra qui vous porte ?
« Fatigué, mais heureux. » Quelle adresse stimule votre inspiration à coup sûr ? N’importe quel front de mer. Quelle est votre définition de l’atypique ? Le sur-mesure ultime. |
Laquelle de vos créations est la plus atypique, selon vous ?
La commande qui m’a été faite par un prêtre. C’était un projet très important pour moi parce qu’il s’agissait de réfléchir à la continuité d’un bâtiment millénaire. Certains vont le vivre à travers la religion, d’autres ailleurs, mais ce besoin d’autre chose, d’une transcendance, rejoint les enjeux du design. Quelle est votre relation au « beau » ? Il me permet d’attraper le regard. S’il n’y a rien à ajouter ou à enlever, alors cette justesse produit du beau. Et là, pour moi, c’est un beau qui n’est pas subjectif du tout. Une chanson qui vous donne envie de créer ? Nothing Compares 2 U, mais la version de Jimmy Scott. |
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Un livre ? Compte à rebours, d’Alan Weisman
Un film ? Il était une fois dans l’Ouest, de Sergio Leone Si nous devions ne garder qu’une seule de vos créations ? La vasque, car c’est quand même quelque chose d’un peu miraculeux. Un objet gonflable de 30 mètres de haut sur 22 mètres de diamètre qui flotte dans le ciel parisien et suscite autant de joie… c’est pour le moins atypique. |
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