Prendre ses quartiers d’hiver : Le logement, épicentre du bien-être

Prendre ses quartiers d’hiver : Le logement, épicentre du bien-être

03.12.2020 Eclairage d’expert

Cette année, la question du logement prend un sens nouveau. Pour des millions de Français, la relation à l’habitat est désormais centrale, et donc questionnée. Une façon de nous rappeler que c’est la notion même de foyer qui définit l’humain, à l’inverse de l’animal, qui cherche d’abord à s’abriter. Or, c’est l’hiver que cette relation est la plus forte : chaleur, ancrage symbolique, cocooning… habiter devient, comme dirait l’artiste et sociologue Hervé Fischer, un « art du lieu »

Pour ces raisons, nous avons choisi d’évoquer ensemble ces notions, autour de la thématique de ce mois-ci : Prendre ses quartiers d’hiver.

C’est Mona Chollet qui a d’abord sublimé cette relation en 2015 avec son livre Chez soi. La maison, à l’image de son occupant, se dote d’un caractère, de symboles, autant d’espaces de mémoires parfois vives, où il fait bon vivre. A l’approche de la saison hivernale une question se pose : quelle relation avons-nous précisément à notre logement ?

 

L’appropriation de l’espace et le besoin de bien-être

En juin 2019, l’Institut de Recherche sur le Bonheur a conduit une étude avec Kingfisher, auprès de presque 13 500 personnes, dans 10 pays européens autour du bien-être et de la maison. Résultat ? 73 % des personnes satisfaites de leur maison sont aussi heureuses dans la vie. Dans une interview donnée à 18h39, le spécialiste du langage Onor Hanreck Wilkinson, déclare que « le bonheur repose sur le fait d’être satisfait de l’espace dont on dispose, de la façon dont on l’optimise. C’est davantage une question subjective de sensation d’espace que de mètres carrés. Être fier de son logement est aussi un des facteurs clés »

D’ailleurs, selon Hervé Fischer, « le chez-soi désigne un espace privilégié à forte résonance émotionnelle et sociale, et qui se démarque comme lieu de vie propre à une personne, qui intègre un ensemble de relations, de liens tissés avec cet environnement », et d’ajouter que le chez-soi est chargé de significations, de représentations et d’expériences émotionnelles. A la façon d’un langage, ces codes communiquent des informations sur celui qui l’habite : « une sorte de biographie sociale et individuelle de ses occupants ». 

Ici, le processus d’appropriation est nécessaire. Dans Le Prométhée mal enchaîné, l’écrivain André Gide abordait déjà l’admirable processus d’appropriation de l’habitat : « On admira l’appropriation des tentures et la commodité de chaque objet ». Dans la publication Habiter, Sabine Vassart, écrivain et maître de pratique professionnelle au département social de la Haute École Charleroi Europe, nous explique que « Fischer voit dans le processus d’appropriation l’expression d’un style d’occupation de l’espace qui correspond à une sorte de langage assimilable à une communication non verbale, un langage symbolique qui nous informe sur la façon dont l’espace est vécu », et de débuter son introduction par une citation de La poétique de l’espace de Gaston Bachelard : « La maison dit une intimité ».

Et cette intimité se retrouve aujourd’hui dans l’assouvissement de diverses tendances hivernales. Le hygge, l’art du cocooning à la danoise prône le fait de ralentir et prendre le temps de ralentir. Le wabi sabi, la volonté d’une vie simple très populaire au Japon, repose sur le fait de laisser le temps bonifier les objets, les renforcer ou admirer  leurs imperfections. Enfin, le samfundssing, philosophie propre au Danemark, est basée sur la résilience et le bonheur collectif, où l’individu se tourne vers les autres pour avancer et construire. 

Pour Sabine Vassart, cette dimension identitaire mise en exergue par ces tendances « se manifeste notamment à travers le travail d’appropriation qui transforme l’espace en support de l’expression des émotions et du vécu de l’occupant ». Une idée agréablement transmise par Rimbaud dans Les paradis artificiels, décrivant le bonheur de Thomas de Quincey, enfermé dans l’hiver.


Habiter, c’est dompter son habitat ?

Le philosophe Gaston Bachelard écrivait dans son ouvrage La poétique de l’espace : « Être un Homme veut dire d’abord habiter ». A la manière de Notre-Dame-de-Paris, dans l’œuvre éponyme de Victor Hugo, le logement devient petit à petit « l’œuf, le nid, la maison, la patrie, l’univers ». Selon Sabine Vassart, « cette conception d’un espace centré a pour conséquence la domination de l’environnement par le sujet qui peut le faire sien, s’y fixer, l’habiter.” À ce titre, « l’habiter » est pensé comme un trait fondamental de la condition humaine, comme une mise en relation spécifique du sujet à l’espace. » L’architecte Nadège Leroux ajoute dans son article Qu’est-ce qu’habiter ? Les enjeux de l’habiter pour la réinsertion : « C’est donc la relation entre l’homme et sa demeure qui permet l’habiter ».

Dompter la relation à l’habitat, donc, mais aussi l’aspect physique du logement, ses limites et ce qui le compose. Toujours dans la publication Habiter, l’autrice intègre clairement cette notion d’espace et de séparation : « La question du passage de l’espace à un lieu bien défini, pose celle de la limite qui vient différencier « l’ici » de « l’ailleurs ». Le rôle des limites est d’établir un point « ici », d’enfermer un lieu. Les frontières, les murs, les parois viennent marquer une séparation (…), ils affaiblissent l’extérieur par rapport à l’intérieur, ils créent une frontière entre un dedans et un dehors », et d’ajouter sans détour l’importance psychologique de la mise en place de cette frontière : « La maison devient ainsi un espace propre qui se distingue du dehors (…), une séparation entre la tension excentrique du monde extérieur et la tranquillité « centrique » de la maison qui apparaît alors comme un refuge, un abri ». 

Une notion expliquée en une seule phrase par la sociologue Perla Serfaty-Garzon : « L’habiter devient le lieu d’où on regarde le monde ».

 

L’habitat égocentrique

Le psychologue Abraham Moles analyse le Moi au centre du logement, et le rapport égocentré qui est induit. Selon lui, l’habitant et sa singularité s’éprouvent comme centre du monde : « Moi, ici et maintenant, je suis le centre du monde et toutes choses s’organisent par rapport à moi dans une fonction découverte de mon audace. Un monde centré sur Moi ne se peuple d’êtres et d’événements qu’à la mesure de ma perception »

Pour Sabine Vassart, « Moles aborde cette question en posant que, pour l’être, « l’espace pur » n’a pas d’existence, il n’existe que par la référence à un sujet, un groupe, un point de vue… Cette conception « égocentrée » de l’espace correspond au point de vue « ici et maintenant » de l’individu en situation, qui éprouve son rapport à l’environnement ».

L’habitat égocentrique est ici un ressenti, mettant au cœur du logement un être unique et ses émotions. Mais qu’en est-il du monde des introvertis ? Quid des extravertis ?

 

Le dedans et le dehors chez l’être humain

Dans une tribune rédigée dans les pages du journal The Atlantic, et nommée Springtime for Introverts, le journaliste Andrew Ferguson, introverti invétéré, se réjouit de rester confiné chez lui : « le nouveau régime de confinement qui contraint même les plus extravertis à rester chez eux a du bon : il a permis de soulager les introvertis d’un lourd fardeau. Enfin, le monde nous a rattrapés »

Néanmoins, l’analyse des comportements va à l’encontre de cette libération éphémère. Un article du 21 novembre publié dans le Journal de Montréal indique que « contrairement à ce que l’on aurait pu penser intuitivement, les résultats d’une étude publiée en septembre dernier ont plutôt révélé que les plus introvertis souffraient davantage de la solitude dans le contexte d’isolement social actuel et rapportaient davantage de problèmes d’anxiété et de dépression que les plus extravertis ».

S’inspirer ici des tendances sus nommées (hygge, wabi sabi…), pourrait donner des clés aux introvertis face aux risques psychosociaux.

 

De l’importance du réconfort des objets et des matériaux

Dans son livre Chez soi, Mona Chollet chérit les objets qui l’entourent. Elle prend en photo « livres, lampes, cahier, images, cartes, petits mots, bougeoirs et boîtes d’encens, bols et confiseries, bijoux, stylos, tubes de colle ou de crème », indique-t-elle dès les premières pages de son livre, puis d’ajouter : « Quand je les regarde, ces natures mortes me replongent aussitôt, comme si je respirais un parfum, dans l’atmosphère d’une période de ma vie, dont ces décors se sont gorgés comme des éponges ».

Si les objets dessinent la personnalité de l’habitant dans la maison, s’ils rassurent, l’habitat a également une personnalité, composée de matériaux, de matières. Ces dernières jouent sur la faculté de bien-être, notamment en hiver. Des matériaux comme la brique, que Le Monde décrit comme « une métaphore de l’être humain ». Une notion qui se retrouve notamment dans le travail du photographe hongrois Gábor Arion Kudász : celui-ci met en exergue l’imaginaire humain né derrière ce matériau il y a près de 10 000 ans à Damas, et qui est selon lui le trait d’union entre l’homme et la technique. Le bois, également, symbole de chaleur et matière vivante peut jouer la partition bien-être en période hivernale, sans oublier les ouvertures contemplatives sur l’extérieur, qui permettent de ponctuer ce sentiment d’abri, ouvert sur le monde. 

Prendre ses quartiers d’hiver, c’est faire corps avec un logement à l’image de son occupant. L’habitat a ici une place primordiale dans la vie et le bien-être de l’être humain, et de ses singularités. S’approprier l’espace, le dompter, le vivre, le sentir, le ressentir… toutes ces choses qui font que le logement est bien plus que quatre murs et un toit. 

 

Il est simplement l’extension de nous-même.

 

 

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